• 30 mai 1915

    30 mai 1915

    La journée est très belle.

    Pour commencer j’ai – ah ! enfin !! – une lettre de monseigneur Bolo, envoyée de Tunisie. Quelle bonne surprise ! Tout arrive…

    « 24 mai 1915

    Bien cher ami

    Je me suis occupé de vos deux protégés[1] : impossible !

    Il faudrait pour les faire embarquer sur un bateau de leur choix, les mêmes démarches que pour l’embarquement d’un commandant. Il faudrait donc être à Paris. S’ils viennent dans l’escadre, et si nous les rencontrons, je pourrai peut-être les faire passer de leur navire sur le mien par permutation, s’il en est qui désirent quitter le « Waldeck ». Mais c’est là tout ! Nous avons depuis quelques jours une existence assez mouvementée. Depuis l’affaire du « Gambetta » dans laquelle nous avons failli rester (si son « sans-fil » avait fonctionné), nous arrivions à son secours et le sous-marin nous attendait dans la nuit, les dits sous-marins montrent une certaine activité. Il y a deux ou trois jours, à déjeuner, nous mangions une dinde en causant poulailler, quand tout à coup les officiers se lèvent, jettent leurs serviettes, se précipitent vers la porte… « Qu’est-ce qui vous prend ? - Vous n’entendez pas le clairon ? » J’écoute le « biniou » appelant chacun à son poste, fermeture des cloisons étanches, attaque de sous-marin. En un clin d’œil tout était prêt, tous nos canons chargés… torpilles, canons ; le sous-marin nous a manqué, nous avons laissé échapper le sous-marin, et nous nous sommes remis à table.

    Telles sont nos distractions. Nous serons à Bizerte ce soir pour charbonner. Et nous comptons sur l’avenir pour voir des horizons nouveaux et faire des gestes encore inédits.

    marins 1915

    Dardanelles 1915 [marins à bord d’un navire].- Agence photographique Rol.- BNF [Rol, 45648]

     

    Le bon moment de la journée est encore le soir à la prière, vers 6 heures. Nos braves mathurins sont là, en foule pressée, beaucoup grimpés sur les bastingages. Je distribue des journaux, je dis « Notre Père », « Je vous salue », les actes et un seul fabriqué par moi. Puis lecture du dernier télégramme, commentaires, un conseil, un mot pour rire, bonsoir !... et des chapelets de « Bonsoir M. l’aumônier » m’accompagnent jusqu’à l’échelle.

    Admirez l’impérieuse attirance de votre souvenir ; je ne vous oublie pas, je pense à vous, et, moi aussi, je dis : « au retour, si Dieu veut, quelles bonnes bavettes ! »

    Mes amitiés à vos deux mathurins.

    Bien affectueusement à vous

    H. Bolo

    Je vous remercie beaucoup d’être allé faire une visite à la Chaise. J’espère que vous recommencerez ! »

    Berthe écrit à Robert[2] : « …Le soir que tu es parti le petit marin de Paul est venu nous voir au bureau, il doit venir ce soir dîner avec nous. Il nous a dit qu’il était reconnu bon pour aller au front et qu’il partirait prochainement, il espère avoir 24 h de permission dimanche pour aller vous voir... »

    Ce matin – après avoir été à la messe à Notre-Dame-des-Aydes – maman, Robert et moi, nous allons au cimetière pour le 15e anniversaire de mon cher père, rappelé à Dieu le 30 mai 1900 !...

    Ensuite, avec Robert, en auto, nous allons aux Montils et à Candé-sur-Beuvron par la route habituelle. À Candé, tout le monde dans les deux maisons amies où nous allons est à la grand’messe ; alors nous y allons. En entrant, j’aperçois Melle Jeanne Daveau qui est à l’harmonium ; elle ne m’aperçoit que quelques instants après et, de loin, me fait un petit signe amical. À la sortie de la messe, sur la verdoyante petite place, ce sont de joyeuses présentations. Je présente Robert. On demande des nouvelles de Charles ; je laisse entrevoir à Melle Marthe Lespagnol qu’il est venu et que le farceur est caché derrière l’église. Vite Marthe vole à sa recherche, mais revient bientôt, déconfite et joyeusement furieuse. Si nous avions été au 1er avril. Enfin nous descendons la petite rue en causant de Charlot. Puis chez Mme Revault, la tante de Marthe, puis chez Mme Daveau, il nous faut trinquer ; on veut même nous retenir à déjeuner, mais il nous faut partir. Les aimables gens ! à midi et demi nous sommes à Blois. Le temps est superbe, le tantôt – cependant – il se cache de nuages.

     

    218_Fi_00133

    Montrichard.- La Gare.- 218 Fi 133. AD41

     

    Vers 2 h, nous partons en auto, par la forêt, les Montils, Sambin, Pontlevoy et Montrichard ; la coquette petite ville est en fête, c’est la confirmation, et les rues sont sillonnées d’une foule en toilette des beaux jours. Nous passons le Cher et traversons Angé, Pouillé, Mareuil et Saint-Aignan. Comme à Montrichard nous nous arrêtons. Ensuite nous continuons par Saint-Romain, Couddes, Contres, Cormeray, Cellettes et Blois. Une heure pour venir de Saint-Aignan.

    Nous terminons la journée au mois de Marie à Saint-Vincent.

    [1] Charles et Pierre.

    [2] En date du 28 mai.