• 7 et 8 octobre 1914

    7 octobre et 8 octobre

    Un deuil s’abat sur la France.

    Le comte Albert de Mun est mort.

    Hier au soir, encore, dit, « l’Écho de Paris » » il travaillait à son article quotidien ; à 10 h, il se couchait, à minuit et quart il était mort d’une affection cardiaque.

    C’est une perte cruelle pour l’Église et pour la France. Né en 1841, le comte de Mun avait embrassé la carrière militaire, et il fit vaillamment la campagne de 1870. Il était capitaine lorsqu’il démissionna pour se jeter dans l’armée politique où - député du Finistère - il apporta à la Chambre son remarquable talent d’orateur qu’il mit, sans compter, au service de l’Église et de la Patrie. Il fut le fondateur des cercles catholiques d’ouvriers. L’Académie française l’appela parmi elle, il y apporta une belle figure de gentilhomme, lettré, délicat et recherché. Ardent patriote, il fut le plus ardent défenseur de la loi de 3 ans. La France - à l’heure actuelle - lui doit sa force et son union.

    Depuis le commencement de la guerre, chaque jour - dans « l’Écho de Paris », à son poste, il lançait à tous les coins de la France, sa parole ardemment belle, par dessus tout entraînante. Les articles étaient empreints du plus pur patriotisme et son langage était celui d’un apôtre qui relève les courages abattus - cela est arrivé - donne la confiance et prêche la patience. Quels articles entraînants ! Il est mort à son poste, sa plume à peine posée, son dernier article encore frais écrit. Et - aujourd’hui « l’écho de Paris » publie ce dernier appel du comte de Mun intitulé : « Sur les deux fronts », en même temps qu’il annonce sa mort.

    « Ainsi, en France, dit le vaillant patriote, une bataille acharnée, dont les Allemands n’espèrent plus qu’elle se terminera par la victoire ; en Pologne, l’offensive moscovite prête à envahir le territoire allemand, voilà comment se présente l’ensemble de la situation militaire. Il n’y a pas de quoi pousser au pessimisme. » Telles furent ses dernières paroles dans « l’écho de Paris », puissent-elles conserver la confiance jusqu’au bout, jusqu’à la victoire. La France, après Déroulède, après Pie X, après Jules Lemaître, vient d’envoyer un de ses défenseurs au ciel ; auprès de Dieu il plaidera la cause sainte de la Patrie.

    De telles morts sont cruelles, mais elles sont précieuses pour le salut de la Patrie. Holocaustes choisies pour obtenir le pardon de Dieu, elles assureront la victoire et la grandeur de la France…

    Dans ces sentiments de tristesse et de réconfort je me rends ce soir à mon poste de l’ambulance de la Croix-Rouge (à l’École normale des instituteurs). Je trouve un des pauvres blessés - n° 12 - de la salle 2 - Bellot, très malade ; le pauvre garçon qui a été atteint par un éclat d’obus qui lui a déchiré la mâchoire inférieure, a été opéré hier. On lui a ouvert la gorge pour lui retirer les os brisés, en de nombreux fragments, de la mâchoire, [et] lui recoudre les extrémités. Cette douloureuse opération a duré 2 heures ! Le pauvre jeune homme !! Il est bien abattu. Tous les 2 h, avec un entonnoir en verre, par un petit tube, je lui fais prendre du lait tiède pour l’alimenter, ensuite - la bonne sœur, de garde la nuit - que je vais chercher - lui lave la bouche et la gorge avec de l’eau oxygénée lancée par une petite seringue. Pauvre cher garçon !

    À un autre : n° 11 - sergent - je donne une cuillerée de terpine toutes les 3 heures. Aux autres il s’agit des soins habituels.

    Mon compagnon de veille est M. Vigoureux, négociant en blanc à Blois. Il veille la première moitié de la nuit, je prends mon service à minuit ½ jusqu’au jour. Mais, dans la première moitié je ne peux dormir, tellement j’ai froid.

    Ce matin, au petit jour, les toits sont blancs d’une première gelée blanche.

    Je ne me plains pas, pensant aux pauvres soldats qui couchent dehors, dans les tranchées, exposés aux intempéries du temps et de la guerre : pluies, gelées, vent, obus, balles, mitrailles, alertes, charges, etc.

    Tout cela est terrible, et - chaque jour - de nouveaux et nombreux morts sont signalés. Je quitte mon service de veille à 7 h. Le petit Parisien (n° 10), Foulquet, qui avait une balle dans la poitrine, et l’a encore - est actuellement en convalescence au château de Chitenay.

     

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    Chitenay.- Le Château, façade Nord.- 6 Fi 52/9. AD41

     

    Au train de 8 h 59, je vais saluer madame Corby et sa famille, qui partent pour Paris.

    Le tantôt - avec Berthe et Robert - alors qu’il fait beau soleil, nous allons par les métairies, le moulin et les ponts Saint Michel, le val, l’allée verte en forêt de Russy, le carroir de la Croix-Rouge - où nous nous reposons sur l’herbe - et retour par Saint-Gervais.

    Ce soir, nous nous couchons tôt, car j’ai sommeil - d’une nuit passée à blanc - et je suis fatigué.